Tout d’abord à l’acte 1 scène 2 de Dom Juan ou le festin de Pierre de Molière, Dom Juan se livre à autoportrait dans lequel il fait l’éloge du libertinage. En effet, cette scène s’inscrit dans la continuité de l’acte 1 scène 1. Effectivement, dans la scène d’exposition Sganarelle, le valet de Dom Juan, fait l’éloge du tabac. Cette scène apparaît donc comme révélatrice du héros éponyme.
Ainsi nous pourrons nous demander: quelle image du libertin cette tirade reflète-t-elle ?
Dom Juan
Quoi ?
Tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend,
qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux
pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d’un faux
honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une
passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres
beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la
constance n’est bonne que pour des ridicules ; toutes les
belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être
rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes
prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la
beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à
cette douce violence dont elle nous entraîne. J’ai beau être
engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme
à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir
le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs
où la nature nous oblige. Quoi qu’il en soit, je ne puis refuser
mon cœur à tout ce que je vois d’aimable ; et dès qu’un
beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les
donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des
charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le
changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent
hommages, le cœur d’une jeune beauté, à voir de jour en jour les
petits progrès qu’on y fait, à combattre par des transports, par
des larmes et des soupirs, l’innocente pudeur d’une âme qui a
peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites
résistances qu’elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont
elle se fait un honneur et la mener doucement où nous avons envie de
la faire venir. Mais lorsqu’on en est maître une fois, il n’y a
plus rien à dire ni rien à souhaiter ; tout le beau de la
passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un
tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs,
et présenter à notre cœur les charmes attrayants d’une conquête
à faire. Enfin il n’est rien de si doux que de triompher de la
résistance d’une belle personne, et j’ai sur ce sujet l’ambition
des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en
victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il
n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs :
je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme
Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y
pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.
Dom Juan, Molière (acte I ; scène 2) 1665.
1. Dom Juan acte 1 scène 2: Une apologie du libertinage
A/ Dans la continuité de la scène d’exposition
- D’abord, c’est l’entrée en scène du héros dialoguant avec son valet.
- Ensuite, Sganarelle présente un portrait très négatif de Dom Juan au valet de Done Elvire.
- Puis, face à Dom Juan se risque à dire avec timidité. Ainsi il déclare que c’est « fort vilain d’aimer de tous côtés ».
- Enfin, en réponse à ses reproches le libertin prononce un magistral plaidoyer qui expose avec éloquence les plaisirs de l’inconstance et de la séduction.
B/ Une tirade sur le modèle de l’éloge paradoxal
- D’abord Dom Juan blâme l’amour unique et fidèle prôné par la morale religieuse . Il loue l’inconstance.
- Ensuite la rhétorique de la persuasion est employée : rythme, sonorités…
- Puis le schéma argumentatif consiste à commencer par réfuter avec indignation l’avis de son interlocuteur (interrogatives et exclamatives oratoires) . De plus, la métaphore filée qui associe la fidélité amoureuse à la mort.
- De plus, il fait ensuite un éloge passionné de sa propre inconstance : présentée comme un hommage rendu à la beauté des femmes.
- Puis, une longue phrase dont la sinuosité semble mimer ce dont elle parle, décrit la stratégie du séducteur/ déception de l’accomplissement et déception de l’amour.
- Par ailleurs, la métaphore filée qui assimile la séduction à la conquête militaire culmine dans l’envolée finale où Dom Juan compare son insatiable désir à l’ambition épique des conquérants tels qu’Alexandre.
- Enfin, en transposant sur le terrain de la séduction l’énergie guerrière traditionnellement attribuée à la noblesse : le libertin détourne avec une ironique perversité – les valeurs chevaleresques de ses ancêtres.
Ainsi, Dom Juan effectue un éloge du libertinage qui s’inscrit dans la lignée de l’éloge paradoxal du tabac effectué par Sganarelle à la scène précédente.
2. Lecture analytique Dom Juan acte 1 scène 2: Un autoportrait paradoxal
A/ Une mise en valeur de la dimension contestataire et ambiguë du héros
- D’abord, Dom Juan se présente comme l’homme du paradoxe au sens étymologique du terme puisqu’il transgresse la morale commune. De même, son attitude s’oppose aux valeurs chrétiennes qui font de la fidélité conjugale un devoir sacré.
- De plus, dénoncée comme un leurre préjudiciable. Par exemple, « la belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle), la constance « n’est bonne que pour les ridicules ».
B/ C’est par un renversement paradoxal que Dom Juan justifie son libertinage
- Ainsi loin d’outrager les femmes, l’inconstance masculine serait la meilleure façon de rendre justice à la beauté de chacune d’elles. D’ailleurs cette vertu relève d’une obligation imposée par la «nature ». Puis, selon un code qui rappelle celui de l’amour courtois.
- D’ailleurs il faut se référer au lexique de la morale et du droit.
- Ensuite le séducteur se dit avant tout séduit, voire victime du charme féminin.
- Cependant il déploie en fin de tirade tous les tours de la séduction prédatrice pour «triompher de la résistance d’une belle personne ».
- De plus, on observe un paradoxe : sans obstacle ni résistance point de plaisir : semble tenir plus à la chasse qu’à la prise .( D’ailleurs les romantiques feront de Dom Juan un homme en quête d’un idéal).
Ainsi, Dom Juan apparaît comme un personnage paradoxal qui se livre d’emblée à un éloge du libertinage, ce qui apparaît à l’époque comme une transgression. De plus, ce héros libertin apparaît comme un personnage typiquement baroque. En effet, il semble très transgressif et changeant. Finalement, cette scène offre un portrait du personnage et de ses croyances. Or cette attitude libertine apparaît en actes dans la scène du pauvre (acte 3 scène2.)
Nous espérons donc que cette lecture analytique de l’acte 1 scène 2 t’a aidé!Toutefois si tu veux aller plus loin sur Dom Juan, tu peux aussi consulter ces pages:
-Résumé de Dom Juan ou le festin de pierre
-D’abord la lecture analytique de l’acte 1 scène 1.
-Puis l’acte 3 scène 2.
-Enfin la biographie de Molière.
Alors nous te souhaitons bonne lecture! Enfin si tu as des questions poste-les en commentaires.