Baudelaire spleen

Baudelaire spleen. « Quand le ciel bas et lourd » est l’un des poèmes des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, publié en 1857, intitulé « Spleen ». Cette question du spleen traverse le recueil et apparaît comme essentielle pour comprendre la poésie baudelairienne. (Pour lire la fiche de synthèse sur le spleen, clique ICI.) Il convient de rappeler que ce thème de la mélancolie, du désespoir est emprunté au Romantisme. Nous vous proposons le commentaire intégral juste après le texte du poème « Quand le ciel bas et lourd » ci-dessous.

On voit spleen Baudelaire c'est-à-dire un paysage pluvieux, sombre qui conduit à la mélancolie.

Texte

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

– Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire, 1868.

INTRODUCTION

« Je suis le roi d’un pays pluvieux, Riche mais impuissant, Jeune et pourtant très vieux », telle est la définition antithétique que fait Charles Baudelaire de lui-même dans l’un des quatre poèmes intitulés « Spleen ». Dans la dernière de ces poésies du même titre, placée dans la section « Spleen et Idéal », cette même dualité se retrouve sous les traits d’un combat entre l’Espérance et l’Angoisse. Rappelons que le terme « Spleen » est emprunté à l’anglais. Il désigne la rate, siège de l’humeur selon les Anciens. C’est donc une profonde mélancolie, que nous qualifierions aujourd’hui de dépression, que nous livre le poète dans ce texte. L’insertion dans la section « Spleen et Idéal » donne à voir deux postures de l’homme, l’une tournée vers un Idéal qui serait une aspiration vers le haut, vers la spiritualité notamment et l’autre, au rebours, qui tendrait vers le bas, où logerait le spleen. Dès lors, comment ce poème nous délivre-t-il un paysage extérieur reflétant la condition intérieure du poète? C’est d’abord la mélancolie qui nous est dépeinte par Baudelaire ainsi qu’un paysage romantique dans lequel le poète se retrouve prisonnier. Enfin, tel une épopée, le poème est le lieu d’un combat allégorique.

I)Baudelaire spleen ou un paysage romantique

La mélancolie, sens que Baudelaire a donné au mot « spleen », regroupe un ensemble de thèmes/ Ici tous les stéréotypes de la mélancolie sont représentés: l’obscurité, la pluie, l’ennui, le dégoût.

A. Un jour pluvieux

Dès le premiers vers, le décor mélancolique par excellence est planté : « quand le ciel bas et lourd pèse ». Ensuite, la pluie est omniprésente tout au long du poème : « humide », « la pluie ». celle-ci est associée à un paysage noir, emblème de la mélancolie avec l’oxymore « un jour noir » ou encore « nuits » qui nous offre un tableau sombre et angoissant. De plus, cette humidité et cette noirceur sont mêlées à une impression de détérioration et de putréfaction comme en témoignent des formules telles que « plafonds pourris » ou « cachots humides ». La pluie semble donc agir et altérer le paysage extérieur. Le poète nous livre un paysage sombre et pluvieux dans lequel l’ennui vient renforcer cette vision maussade et s’installer.

B. Un jour d’ennui ou le spleen de Baudelaire

Ensuite, le champ lexical de l’ennui avec des termes tels que: « longs ennuis », « triste » semble planter une atmosphère lugubre. La forme du poème corrobore cette idée tant les participes présents sont nombreux: « embrassant, gémissant, cognant, battant, étalant ». Or cette forme montre une action en cours de déroulement à laquelle s’ajoute une notion de lenteur et une notion de longueur qui reflètent cet ennui. L’utilisation de nombreuses phrases complexes renforce ce sentiment d’ennui qui règne dans le poème et auquel le poète se trouve confronté. Finalement, le poète semble enfermé dans ce paysage pluvieux et ennuyeux sans qu’aucune échappatoire ne s’offre à lui.

II) Baudelaire spleen. Un poète prisonnier de sa mélancolie

L’enfermement domine, traduisant ainsi une forme d’oppression.

A. Une impression de cloisonnement

D’abord, tous les éléments mentionnés semblent enfermer le poète: le ciel, la terre et la pluie. Le ciel, en effet, « comme un couvercle », la terre « changée en un cachot humide », la pluie « imite les barreaux » d’une prison. L’enfermement physique du poète nous est dépeint comme inévitable. Tout semble le confiner dans un espace clos duquel il ne peut s’échapper. cette idée se trouve renforcée par les antithèses telles que le ciel que l’on trouve volontiers associé à l’horizon. Or ce dernier suppose une ouverture infinie de l’espace qui est ici réduit à la circonférence d’un couvercle. La comparaison réduit ainsi l’espace, le ferme et contribue à écraser le poète oppressé. En outre, l’horizontalité du ciel contraste avec la verticalité du mouvement du couvercle vers le bas. De plus, une rondeur se dégage du poème du poème « couvercle », « cercle », qui oppresse et clôt l’espace. Se dégage une impression claustrophobe qui étouffe le poète. Cet enfermement est également rendu par la forme de poème composé de cinq quatrains. Au fond, le poème semble enfermé dans sa propre forme de rimes croisées dont le schéma se reproduite de manière systématique. Le poème semble figé imitant par là-même la condition du poète et de son sentiment d’enfermement. En effet, malgré des tentatives vaines d’évasion, le poète se heurte indéfiniment aux cloisons.

B. Des barrières infranchissables

Ainsi, l’espace est représenté comme une prison. La pluie, par exemple, est la métaphore des barreaux de la prison: « la pluie étalant ses immenses traînées, d’une vaste prison imite les barreaux ». Par ailleurs, la terre est décrite telle un « cachot humide ». Les limites, les barrières sont nombreuses et empêchent le poète de s’évader comme par exemple le mot « couvercle » qui enferme et oppresse, « les murs et plafonds » du cachot qui renvoient le poète et son espoir dans la prison, les « barreaux » qui délimitent la prison. Finalement, le poète, où qu’il aille, se heurte à des cloisons qui le renvoient à sa condition de prisonnier. Cet enfermement physique reflète l’enfermement mental et intérieur du poète, muré dans sa douleur.

C. Un enfermement intérieur

Ce sont les sons de la douleur que le lecteur perçoit entre ces vers. Un champ lexical de la souffrance très dense est développé pour décrire l’état intérieur du poète: « affreux hurlement, geindre, pleure, triste, gémissant ». Une idée de soumission à la souffrance se dégage de ces mots ainsi qu’une plainte sonore. Le lecteur entend ici les sons de la douleur. Finalement, le poète semble pris au piège dans cette souffrance, ce qui est accentué par la métaphore des araignées et de ses « filets » dont les araignées ne peuvent s’extirper. C’est un malaise intérieur qui nous est dépeint, un dégoût de la vie où se mêlent ennuis, souffrance et enfermement. le poète semble soumis mais tente d’échapper à cet état et nous livre une bataille épique et allégorique entre « Espoir et Angoisse ».

III. Une épopée ou la lutte allégorique du poète

La volonté du poète se dégage de cet état qu’est le spleen et nous donne à voir un combat qui prend différents aspects: métaphorique, allégorique, duquel le poète ne sortira pas vainqueur.

A. Une métaphore animalière du spleen baudelairien

D’abord, un crescendo se met en place et une intensification opère. Elle se traduit par une tentative de rébellion du poète. Pour cela, la métaphore animalière est utilisée. En effet, nous pouvons noter une allégorie de l’Espérance. Effectivement, Baudelaire compare l’Espérance à une « chauve souris » dans le deuxième quatrain. Pourtant, la chauve souris, animal nocturne, aveugle et mal aimé, semble lier l’espérance à un symbole maléfique. C’est la colombe qui serait plus naturellement et symboliquement représentante de l’espoir. Cet animal qu’est la chauve souris serait-il de mauvaise augure pour le poète? L’Espérance ainsi représentée, aveugle et affolée, semble vouée, l’échec et préfigurer la défaite du poète face au spleen. D’ailleurs, alors qu’elle essaie de s’échapper, « battant les murs de son aile timide » et « se cognant la tête à des plafonds », elle n’y parvient pas. Elle nous est décrite comme fragile, affolée et se blessant mais finalement toujours prisonnière. C’est un premier échec de l’Idéal et de l’Espérance. A ce combat s’ajoute celui entre le poète et l’araignée, symbole de la prison et du spleen. C’est une image de dégoût qui se dégage de la description des araignées avec l’expression « peuple muet d’infâmes araignées » et semble prendre possession de l’esprit du poète. Ces araignées associées au spleen et à l’enfermement semblent prendre le pouvoir, « tendre les filets au fond de nos cerveaux », ce qui déclenche une nouvelle crise chez le poète dans les deux quatrains qui suivent. La bataille atteint son paroxysme.

B. La victoire du spleen ou la mort intérieure du poète

Les deux derniers quatrains montrent le poète en crise et une bataille qui atteint un seuil maximum soudainement comme en témoignent les mots « tout à coup, sautent, furie, hurlement ». Une violence se dégage de ce quatrain, se traduisant par les nombreuses occlusives [k] et [t] qui véhiculent une certaine agressivité. Le poète, malgré la lutte qu’il mène, semble perdre du terrain face au spleen. En effet, les hurlements ne deviennent-ils pas des gémissements comme le montre le verbe « geindre »? La défaite semble se dessiner inexorablement et l’énergie du désespoir s’évanouit peu à peu. En effet, le rythme semble s’allonger et s’étendre comme en témoigne l’adverbe « opiniâtrement », dont la diérèse fait rallonger ce mot qui occupe à lui seul tout le deuxième hémistiche. Par ailleurs, cette défaite annoncée nous est confirmée dans la strophe qui suit, mise en valeur typographiquement, par le tiret qui la détache. Dans cette strophe, s’ouvre un champ lexical de la mort: « corbillards, sans tambours ni musique, défilent » tel un cortège funèbre. De plus, le silence contraste avec les hurlements notés auparavant. C’est un silence de mort qui règne. Les cloches semblent sonner le glas de la mort du poète qui n’a pu échapper au spleen. Enfin, la dernière image « sur mon crâne incliné plante son drapeau noir » évoque la soumission finale du poète qui s’avoue vaincu et annonce la victoire allégorique de l’Angoisse, donc du spleen. Le changement de rythme rend compte de cette défaite où une certaine lenteur succède à l’emballement précédent. Ici, « lentement », le poète annonce sa défaite: « l’Espoir vaincu pleure ». En outre la rime finale, « Espoir/noir » sonne la défaite finale. Ainsi, le drapeau noir symbolise le deuil mais aussi le drapeau des pirates. Il suggère le naufrage du vaisseau. Notons que dans Les Fleurs du Mal, le poète est souvent représenté par un navire, coulé par les pirates que représenterait le Désespoir. Le « crâne incliné » serait alors l’image du bateau qui s’enfonce dans la mer. Le naufrage est donc définitif.

Conclusion du commentaire Baudelaire spleen

Ce poème nous fournit une description de ce qu’est le spleen, ce mélange de mélancolie, d’ennui, de dégoût, qui gagne le poète jusqu’à provoquer chez lui une crise, un mal de vivre qu’il ne parvient pas à vaincre. Les deux allégories que sont l’Angoisse et l’Espoir matérialisent son combat intérieur. Ainsi, le paysage extérieur reflète le paysage intérieur de Baudelaire. Le poète semble d’ailleurs s’inspirer ici de la tradition romantique pour laquelle la nature est imprégnée de mélancolie, comme si les sentiments de l’auteur se projetaient sur ce qui l’entoure. Citons à tire d’exemple « Le Lac » de Lamartine où l’on retrouve le même fonctionnement littéraire.

Nous espérons que cette fiche « Baudelaire spleen » a pu t’aider à comprendre l’écriture et le sens de ce poème baudelairien. N’hésite pas à poster tes remarques et questions en commentaires. Tu aimeras peut-être certains cours liés à Baudelaire:

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